JEN 2025

Le 13/02/2025

JEN 2025 : un concentré d'inspirations mis en lumière par les Designers Éthiques

Je ne m’attendais à rien en particulier, j’étais juste très excitée, et je n’ai pas été déçue. E.F.

La Journée de l’Écoconception Numérique (JEN), organisée par Les Designers Éthiques le 6 février 2025 au MAS à Paris pour la seconde année, était à la hauteur du programme annoncé.


Géopolitique et empreinte territoriale du numérique 

La conférence d'Ophélie Coelho, chercheuse spécialiste de la géopolitique du numérique, a ouvert la journée : le ton était lancé.

Elle nous a parlé de la soif de conquête des Big Tech, de l'implantation de data centers énergivores et de la monopolisation du marché, essentiellement par la Chine et les États-Unis.

Ophélie Coelho est captivante, elle nous aide à comprendre cette recherche du nouvel or : les réseaux, l’énergie, les territoires, la finance, créer des services qui ne coupent jamais.

"Le choix énergétique de ces BIG Tech façonne le marché de l’énergie et les territoires impactés”. Et à quel prix… ?

L'implantation de Big Data Centers a des répercussions directes sur l'environnement, à l'image du paysage modifié de Johannesburg, et sur la société, avec des pénuries d'électricité et des conditions de vie précaires à Gauteng. Cette croissance exponentielle du numérique, qui ne prend pas en compte la sobriété numérique, renforce les disparités et exclut l'accès aux technologies et à l'énergie des populations les plus précaires.

 Conférence d’Ophélie Coelho, photo Simon Coscino-Mollard

Évaluer pour éco-concevoir ? Promesses et limites de l’Analyse de Cycle de Vie appliqué aux sites Web 

David Ekchajzer a animé une conférence passionnante sur l'évaluation pour l'écoconception. Partant de la citation de Lord Kelvin "Si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas l'améliorer", il a exploré les limites des outils de mesure comme l’ACV ou Eco-Index et a insisté sur la nécessité de considérer le "récit" de l'impact environnemental d'un site web.

Plutôt que de se focaliser uniquement sur le système de comptage linéaire actuel (le temps passé sur un site, la consommation énergétique des équipements et les coûts de fabrication), David Ekchajzer nous a invité à une approche plus holistique, en s'intéressant au contexte et aux effets des services numériques.

Il s’agit de mettre en récit pour créer un compte / un conte ;) Il a présenté pour cela des outils intéressants, comme le diagramme des boucles causales et l'arbre de conséquences, pour identifier et minimiser les impacts négatifs.

J’ai hâte de revoir la rediffusion de sa conférence sur le Peertube des Designers Éthiques !

Atelier : Comprendre et combattre les effets rebond 

Je me suis inscrite à cet atelier parce qu'il proposait un format de jeu intéractif. Je trouve toujours plus inspirant de réfléchir à un sujet avec un support ludique, ici un jeu de cartes. C'est Laetitia Bornes, doctorante en design systémique et soutenable, qui nous a proposé son concept, fraîchement créé, de jeu et de matrice pour réfléchir sur les effets rebond. 

Avant toute chose, plongeons-nous dans une définition : les effets rebond n’existent pas seulement dans le monde du numérique mais pour toutes les thématiques. Il s'agit en réalité des effets causés par une nouvelle technologie, un nouveau service, un changement de procédé, etc. Ils peuvent être positifs ou négatifs mais vous l'aurez compris, ceux qui nous intéressent le plus pour cet atelier sont les négatifs, pour pouvoir les combattre.

Il existe beaucoup d’effets rebond différents mais dans le monde de l'énergie, il y en a un assez connu qui est l'effet rebond le plus extrême mis en évidence en 1865 : le paradoxe de Jevons.

Il implique que l'introduction de technologies plus efficaces en matière d'énergie peut, si on l’utilise beaucoup, augmenter la consommation totale de l'énergie. 

Exemple : on met en place une solution de covoiturage pour économiser de l’énergie, mais est ce que l’accès facile à ce covoiturage ne va pas augmenter le nombre de trajets proposés ?

Parlons aussi de l'Effet Cobra qui en fera sourire plus d'un et qui découle de cette histoire : à Delhi, sous le régime britannique, le nombre de cobras dans la ville devient inquiétant. Il est proposé, comme solution, d'offrir une récompense pour ceux qui viendront se présenter avec un cobra mort. Des petits malins ont donc commencé à élever des cobras pour pouvoir les tuer et ainsi recevoir les récompenses. Finalement, le nombre de cobra dans la ville a fini par augmenter, le système de récompense ayant produit l'effet inverse de celui désiré.

Durant l'atelier, nous avons étudié deux exemples : Vinted et BlaBlaCar. Il est vrai que ces deux services surfent sur la vague de l'économie circulaire et prônent un monde plus écologique. Qu’en est-il de leurs effets rebond ? Quels impacts si le service n’existait pas ? Par exemple : quels impacts sur les dons de vêtements si le service Vinted n’existait pas ? etc.

Photo de J.V. : Atelier Rebound Archetypes

Grâce aux cartes qui répertorient les acteurs, les types d'effets mais aussi des pistes de solutions pour éviter ces effets, nous avons dessiné une matrice pour analyser l’impact de ces services. 2h ne suffisent normalement pas pour aller au bout de la réflexion mais l’exercice est très intéressant et permet de prendre de la hauteur sur des sujets qui, de prime abord, pourraient nous apparaître décorrélés de l'écologie.

Photo de J.V. : Rebound Archetypes, jeu de carte de Laetitia Bornes en libre service sur tinyurl.com/rebound-archetypes

Atelier NumERes (Numérique Éthique et Responsable) 

Participer à l’atelier NumERes a été une expérience collaborative très enrichissante pour comprendre un outil d’aide à la construction d’une roadmap plus éco-responsable. L'ambiance était excellente, l'animateur pédagogue et sympathique et le serious game simple et efficace. Nous voilà parti pour mettre à contribution notre intelligence collective, débattre et construire une à une les actions à mener.

Au sein d’une entreprise, chaque groupe devra participer à l’élaboration de la roadmap à 3 mois et à 1 an. Cet atelier nous a permis d'établir des priorités claires : on peut commencer à gravir la montagne sans que cela ne soit décourageant.

Merci Gillo Malpart d’avoir partagé avec nous ton atelier inspirant et engageant !

 

Y'a-t-il quelque chose après l'écoconception web ? 

Une autre conférence a particulièrement retenu mon attention, tant pour son ambiance que pour son contenu, à l’aide d’un constat “nos outils deviennent vite obsolètes” et d’un Raspberry ;-)

Arthur Pons et Derek Salmon nous ont embarqué dans leurs explorations d’un web sans besoin d’écoconception à travers le ssh, sur un ton léger et amusant.

Arthur Pons a démontré qu’il est possible d’utiliser du matériel ancien : envoyer des commandes à un ordinateur à l’aide d’un processeur de 2003 et d’un Raspberry de 2017.

Derek Salmon a précisé que le ssh ne visait pas à remplacer le web, mais qu'il offrait un accès plus direct à certains services, ce qui pourrait transformer les pratiques des concepteurs et leur offrir un gain de temps.

La question de l’accessibilité reste un point d’attention. Oui on peut créer un simple tableau pour commander du café via ssh, mais rendre le service accessible nécessite beaucoup de réglages.

Est-ce la fin de l’écoconception WEB de manière radicale ? Non, cela nous rappelle qu’on peut concevoir aisément en préservant le matériel actuel et en simplifiant la technique, sans nécessairement recourir aux dernières technologies.

Débat mouvant

En plus d’être très efficace après le déjeuner (et donc en phase de digestion), le débat mouvant proposé par l'équipe des Designers Éthiques a apporté un peu de légèreté et surtout la parole aux participants. Pour ceux qui ne sont pas familier du concept, il s'agit de proposer aux participants de se prononcer sur une phrase en se mettant de chaque côté de la scène, l'un étant le clan des “d'accord”, l'autre le clan des “pas d'accord”. Ensuite prend la parole qui veut pour expliquer son point de vue, le but étant de ramener le plus de monde de son côté. 

Les débats ont tourné autour de phrases un peu chocs et drôles du style : 

“Il faut brûler des SUVs pour sauver les IAs.”

“On a déjà fait le tour de la question de l'écoconception.”

“L’écoconception, c'est “le pipi sous la douche” de la tech.”

Ce qui m'a le plus frappé c'est qu'on pense être sûr de son avis mais le camp adverse arrive toujours à nous mettre le doute et nous faire penser différemment.

Et si tout le monde faisait pipi sous la douche ? C'est-à-dire, si tout le monde mettait sa brique à l'édifice et proposait des services digitaux éco-conçus ? L'impact serait-il si minime que ça ? Mais est-ce aux Designers de faire des efforts ou plutôt à ceux qui dirigent et qui ont le pouvoir de décider ? On sait que le plus gros impact écologique dans le monde du digital est la fabrication des terminaux. Ne serait-ce pas plutôt à ce niveau qu'il faudrait du changement comme voir les dirigeants des grosses firmes prendre des décisions drastiques en la matière ?

Pas facile de répondre à toutes ces questions, n'est-ce pas ?

Et c'est comme ça que le débat s'est terminé, sans réelle conclusion, mais avec des chakras plus ouverts !

Merci aux intervenants et aux conférenciers pour cette journée riche et inspirante. Hâte de revoir et découvrir les conférences manquées. Un grand merci à vous Les Designers Éthiques 🙏

L'intelligence artificielle 

Mention spéciale pour la dernière conférence à propos des LLM (Large Language Model) avec notamment Anne FAUBRY. C’est une évidence pour les Designers Éthiques, l’IA est out par défaut.

L’hypercroissance de l’IA a de nombreux impacts sociaux et environnementaux.

Le message nous dit simplement : adoptons une approche sobre du numérique, écartons l'IA de nos usages courants et, si son emploi s'avère nécessaire (par exemple, pour la médecine), veillons à ce qu'elle soit pensée de manière écoconçue dès le départ.

Dans cette dernière conférence sur l’IA, Limites Numériques nous met en garde : le marketing IA nous appâte. Toutes les connotations au champ lexical de la magie nous vendent du rêve, nous séduisent pour passer au mode payant. Et qu’en est-il des coulisses et des impacts de cette magie ?

Il y a une question importante à soulever concernant les droits d'auteur : à qui revient la propriété du contenu utilisé pour entraîner l'IA, et à qui appartient le contenu généré par l'IA que nous réutilisons comme les textes, images, vidéos ou sons ?

À ce sujet, à lire sur Franceinfo :

Ce fut une belle journée partagée avec la team Nexton, toujours aussi engagée et motivée ! 🙏

Elodie FABERT et Julie VOISIN, UX Strategists, pour un numérique responsable ✊

Sources programme : https://journee-ecoconception-numerique.fr/

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